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L’Uberisation de la culture : une opportunité pour les artistes africains ?

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L’Uberisation de la culture : une opportunité pour les artistes africains ?

 Le concept d’uberisation, issu des plateformes numériques comme Uber, s’est largement étendu à d’autres secteurs de l’économie. L’industrie culturelle, longtemps basée sur des modèles traditionnels de production et de diffusion, n’échappe pas à cette transformation. En Afrique, où la révolution numérique s’accélère, l’uberisation soulève à la fois des espoirs et des inquiétudes pour les artistes. Alors que les plateformes permettent un accès direct aux publics et réduisent les intermédiaires, elles accentuent aussi la précarité des créateurs, qui doivent composer avec des revenus aléatoires et des droits d’auteur mal protégés.

L’impact de l’uberisation sur l’industrie culturelle africaine est exploré, mettant en lumière ses défis et ses opportunités, tout en proposant des solutions pour un développement durable du secteur.

L’uberisation : définition et application dans la culture

L’uberisation désigne l’émergence de plateformes numériques qui mettent directement en relation des créateurs et des consommateurs, court-circuitant les intermédiaires traditionnels tels que les producteurs, les éditeurs ou les distributeurs. Dans le secteur culturel, cela se traduit par des services permettant aux artistes de vendre directement leurs œuvres, d’organiser des concerts, ou encore de diffuser leurs productions.

Des plateformes de streaming comme Spotify ou Apple Music permettent aux musiciens africains de distribuer directement leurs chansons à une audience mondiale sans passer par une maison de disques traditionnelle. Cela facilite l’accès au marché mondial, mais pose la question de la répartition des revenus, souvent déséquilibrée en faveur des plateformes.

Les écrivains africains peuvent s’auto-éditer sur Amazon Kindle ou d’autres plateformes d’auto-publication. Bien que cela offre une autonomie inédite aux auteurs, ils doivent assumer eux-mêmes la promotion et la gestion de leurs œuvres, ce qui peut accroître la précarité.

Les défis structurels de l’uberisation culturelle pour les artistes africains

Malgré la promesse d’autonomie et d’un marché global, l’uberisation renforce certaines inégalités existantes dans le secteur culturel africain, notamment en raison de l’absence de protections sociales et juridiques adéquates.

Une précarité croissante des artistes-auteurs

La plupart des artistes africains peinent à vivre de leur art, en grande partie parce que la notion d’ »artiste-auteur » n’est pas clairement définie dans de nombreux pays africains. Contrairement à des pays comme la France où les droits d’auteur offrent une protection, les artistes africains dépendent souvent de revenus ponctuels, liés à la vente directe de leurs œuvres ou à des performances scéniques.

Au Sénégal, l’absence de statut légal pour les artistes-auteurs entraîne une grande hétérogénéité. Les plasticiens, musiciens ou écrivains ne bénéficiaient pas d’une reconnaissance de leur travail créatif, ce qui complique l’accès à des aides sociales ou à des subventions. Toutefois des conditions favorables pour faciliter la reconnaissance de ces acteurs contemporains sont entrain d’être mises en place par le gouvernement

Des relations déséquilibrées avec les plateformes

Les plateformes numériques captent souvent une part importante des revenus générés par les œuvres. Bien que les artistes aient désormais accès à une audience internationale, ils restent souvent marginalisés dans le partage des bénéfices.

Les revenus tirés du streaming musical sont souvent faibles. Les musiciens perçoivent quelques centimes par écoute, tandis que les plateformes de streaming captent l’essentiel des profits, aggravant la précarité des artistes.

Dans le domaine littéraire, les plateformes d’auto-édition comme Amazon prennent également une part importante des bénéfices, laissant aux auteurs indépendants une fraction des revenus de leurs ventes.

L’uberisation comme levier d’ppportunités

Si l’uberisation culturelle pose de nombreux défis, elle offre également de nouvelles opportunités pour les créateurs africains, notamment en termes de diffusion et d’accès à des marchés autrefois inaccessibles.

La réduction des intermédiaires

L’un des principaux avantages de l’uberisation est la possibilité pour les artistes de s’affranchir des intermédiaires traditionnels, comme les maisons de disques ou les galeries d’art, qui avaient historiquement un contrôle exclusif sur la diffusion des œuvres.

Des plateformes comme YouTube permettent aux artistes visuels et musiciens de publier eux-mêmes leurs œuvres, sans passer par des agents ou producteurs, tout en atteignant directement des millions d’internautes à travers le monde.

Patreon permet aux créateurs africains et d’ailleurs d’obtenir un soutien financier direct de leurs fans à travers des abonnements mensuels, court-circuitant ainsi les intermédiaires traditionnels.

La diversification des sources de revenus

L’uberisation permet également de diversifier les sources de revenus des artistes, en leur offrant la possibilité de vendre des services ou des produits complémentaires. Les créateurs peuvent vendre des produits dérivés (merchandising) ou des expériences exclusives (concerts privés, rencontres avec les fans) via des plateformes telles que Etsy ou Teespring.

Les plateformes de formation en ligne, comme Udemy ou Skillshare, permettent aux artistes de monétiser leurs compétences en proposant des cours et des tutoriels.

Les politiques publiques : un soutien indispensable à l’adaptation des artistes africains

Pour que les artistes africains puissent pleinement tirer profit de l’uberisation, il est essentiel que des politiques publiques adaptées soient mises en place afin de les protéger et de les accompagner dans cette transition numérique.

Un cadre légal pour protéger les droits des artistes

La première priorité doit être de renforcer la protection des droits d’auteur en Afrique. Une législation plus stricte sur les droits de propriété intellectuelle et les contrats entre artistes et plateformes permettrait d’assurer une juste rémunération des créateurs.

La Côte d’Ivoire a mis en place une législation via le BURIDA pour protéger les droits des artistes et leur garantir un partage plus équitable des revenus générés par leurs œuvres.

L’accès à la protection sociale

Les réformes sociales sont essentielles pour offrir aux artistes africains une protection adéquate face à l’instabilité de leurs revenus. La création de régimes de protection sociale adaptés aux travailleurs indépendants de la culture doit être une priorité.

Le Sénégal a introduit un système de Couverture Maladie Universelle, mais les cotisations sociales demeurent trop élevées pour les artistes, qui peinent à accéder aux bénéfices de ce programme.

L’avenir de l’uberisation culturelle en Afrique : trouver un équilibre

L’uberisation, bien qu’offrant de nouvelles opportunités, reste une épée à double tranchant pour les artistes africains. Elle nécessite une adaptation rapide aux nouvelles technologies et une autonomie accrue, tout en posant la question de la protection des droits et de la rémunération. À travers des réformes adaptées et une meilleure organisation collective des artistes, l’Afrique pourrait tirer parti de ces transformations pour encourager une véritable Renaissance artistique, portée par la numérisation et l’entrepreneuriat culturel.

Un nouveau modèle à construire

L’uberisation culturelle en Afrique, comme ailleurs, bouleverse les modèles traditionnels de création et de diffusion. Si cette révolution numérique offre de nouvelles possibilités aux créateurs africains, elle pose également des défis majeurs en termes de protection sociale et de répartition équitable des revenus. Pour que l’uberisation devienne une opportunité réelle pour les artistes du continent, une adaptation concertée entre gouvernements, plateformes numériques et créateurs est nécessaire.

En conjuguant tradition et innovation, l’Afrique peut non seulement préserver son riche patrimoine culturel, mais aussi l’exporter à l’échelle mondiale dans des conditions plus justes et équitables.

Jean-Yves Martin

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