L’art africain, souvent perçu dans le monde comme une simple expression esthétique, va bien au-delà de l’ornement. Pour certains observateurs et penseurs, il représente un système d’écriture, une « écriture » qui ne se déploie pas sur des parchemins ou dans des livres, mais à travers des objets, des symboles et des sculptures imprégnées d’une signification profonde. Contrairement à la vision occidentale de l’écriture qui repose principalement sur l’alphabet, l’art en Afrique noire utilise un langage codé, symbolique, ancré dans la nature et la mythologie, et accessible aux initiés. Explorez comment l’art africain se manifeste non seulement comme une forme de communication, mais également comme un moyen d‘identification culturelle, de résistance politique et un véhicule de mémoire collective.
Contrairement aux préjugés qui ont longtemps qualifié l’Afrique subsaharienne de « civilisation sans écriture« , l’art africain témoigne d’une véritable tradition écrite. Cette écriture, bien que non alphabétique, revêt une importance capitale pour les sociétés africaines.
Pour saisir cette idée, il faut élargir la notion d’écriture au-delà des symboles alphabétiques. Dans le dictionnaire Hachette, l’écriture est définie de deux manières : comme une représentation de mots et d’idées par des signes (écriture alphabétique, idéographique, phonétique) et comme un moyen de consigner une information pour la rendre durable. L’auteur utilise cette définition pour montrer que l’art africain, en véhiculant des idées et des récits codifiés, répond à ces deux fonctions de l’écriture. Il n’y a pas de hiérarchie entre les formes d’écriture ; au contraire, chacune répond aux besoins de la culture qui l’a façonnée.
Certaines œuvres d’art africain se lisent comme des textes. Les portes sculptées du palais du roi de Porto Novo, par exemple, racontent la vie quotidienne et les valeurs d’une communauté. De même, les motifs Abbia sur les coquilles de noix au Cameroun et les inscriptions des palais royaux sénoufo forment un langage visuel. Ces symboles, souvent issus de la nature ou de la mythologie, parlent aux initiés qui possèdent les clés pour les interpréter.
L’art africain n’est pas un simple objet de contemplation ; il constitue un langage en soi. Comme l’écriture, il véhicule des messages, transmet des histoires, et conserve la mémoire des peuples.
L’art africain est ancré dans un langage symbolique qui, bien que souvent hermétique aux non-initiés, est facilement « lu » par ceux qui connaissent le code. Ce langage permet d’exprimer des concepts abstraits, d’immortaliser des récits historiques ou des croyances. Les sculptures, gravures et motifs représentent ainsi des « textes » visuels qui racontent l’histoire d’une société. Par exemple, dans les traditions sénoufo, des motifs spécifiques servent à identifier des lignées et des alliances, et leur lecture requiert une initiation culturelle qui confère au détenteur une connaissance précieuse.
L’interprétation de l’art africain requiert une connaissance approfondie des traditions, des mythes et des rituels de chaque groupe ethnique. Ce qui peut paraître comme de simples décorations aux yeux des étrangers est souvent porteur d’une signification profonde pour ceux qui comprennent ce langage visuel. Les portes sculptées de Porto Novo ou les motifs Bamoun, qualifiés de « proto-écriture » par certains chercheurs, contiennent des informations sur l’histoire, les généalogies et les relations sociales. L’auteur réfute cependant le terme « proto-écriture« , estimant qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les différentes formes d’écriture, et que cette écriture visuelle africaine est aussi complète et légitime que l’écriture alphabétique.
L’art en Afrique noire est profondément lié à la notion d’appartenance. Les symboles, couleurs, motifs, et styles artistiques varient d’un groupe ethnique à l’autre et deviennent ainsi des éléments de distinction, renforçant l’identité de chaque groupe. Par exemple, le masque Kanaga chez les Dogons est utilisé lors de cérémonies funéraires et possède une signification religieuse et culturelle unique à cette communauté.
Au-delà des frontières ethniques, certains symboles artistiques africains sont partagés entre plusieurs peuples, créant une unité culturelle. Les couleurs, par exemple, jouent un rôle unificateur : le rouge, le noir et le blanc reviennent fréquemment dans diverses cultures et symbolisent la vie, la mort, et la spiritualité. Cette unicité symbolique permet aux différents peuples d’Afrique noire de se reconnaître et de tisser un sentiment de communauté et de solidarité.
En Afrique noire, l’art dépasse la simple expression humaine pour devenir un lien entre les vivants et les ancêtres. Les masques, les tambours, et les statues sont des outils de communication avec les esprits et sont souvent utilisés dans des rituels de guérison, des cérémonies funéraires, ou des cultes ancestraux. En frappant le tambour, en sculptant le masque ou en dansant en rythme, les initiés peuvent entrer en contact avec le monde spirituel et transmettre les messages des ancêtres à leur communauté.
Les œuvres d’art fonctionnent comme un manuel culturel, transmettant les valeurs et les savoirs. Par exemple, les récits gravés sur des portes, des totems ou des poteries servent de support d’apprentissage pour les jeunes générations, qui découvrent les histoires et les principes moraux de leur communauté. Cette transmission intergénérationnelle garantit la préservation des traditions et permet de perpétuer une culture riche en valeurs et en enseignements.
L’art africain joue également le rôle de dépositaire de la mémoire collective. Il fixe dans la matière les histoires, les événements marquants, et les figures héroïques de chaque communauté. Les bas-reliefs des palais royaux ou les motifs gravés sur des objets cérémoniels sont porteurs de récits qui, transmis de génération en génération, ancrent la mémoire d’un peuple et d’un lieu dans un support tangible.
L’auteur démontre que l’art a également servi d’outil de résistance. Par exemple, le roi du Bénin a préservé des sculptures royales pour défier les forces coloniales britanniques, symbolisant la fierté culturelle et la volonté d’émancipation. Cet art militant et préservé malgré les menaces démontre que les œuvres africaines peuvent être des témoins silencieux de la lutte pour la liberté et l’autodétermination. En ce sens, l’art africain ne se contente pas de représenter, il participe activement à la préservation d’un patrimoine face à l’histoire, aux oppressions, et aux transformations sociétales.
Bien que l’art africain remplisse des fonctions similaires à l’écriture, il possède une dimension esthétique et émotionnelle unique. Là où l’écriture alphabétique peut se concentrer uniquement sur la communication de faits ou d’idées, l’art africain s’efforce de toucher les émotions du spectateur. Les formes, les couleurs, les textures créent des sensations visuelles et tactiles qui dépassent l’aspect purement informatif de l’écriture. Cette dimension fait de l’art africain une expérience sensorielle, où le message et l’émotion sont indissociables.
L’auteur conclut en soulignant que l’art africain est une forme d’écriture, un langage symbolique riche qui transcende la simple transmission d’informations. Cependant, loin de voir l’art comme une écriture au sens strict, il considère ces deux formes comme complémentaires. Si l’écriture fixe les mots de manière linéaire, l’art fixe les idées, les émotions et l’identité à travers une composition multidimensionnelle.
En Afrique noire, l’art incarne un système d’écriture unique, qui prend racine dans les symboles, les formes et les motifs chargés de signification. Il est un moyen de communication, de préservation de la mémoire, et un marqueur d’identité pour les communautés. Loin des idées reçues sur une Afrique sans écriture, l’art africain démontre qu’il existe d’autres voies pour inscrire et transmettre l’histoire et la culture. En tant qu’outil de résistance, de célébration et de mémoire, cet art scriptural continue de témoigner de la profondeur et de la richesse de la civilisation africaine. L’écriture artistique africaine, bien qu’invisible pour le non-initié, est un trésor culturel qui lie les peuples, célèbre leurs histoires et les inscrit durablement dans le temps.